Le réveil de Léo
Le réveil de Léo

Le réveil de Léo

Qualifié Short Edition, Prix Imaginarius « les ombres », 2018

Bloooonggg… Cette atroce alarme extirpe Léo de sa torpeur lui qui dort en boule recouvert d’une couette bien chaude et toute chiffonnée. Il lui faut plusieurs minutes au son d’une sonnerie bigrement insistante pour émerger d’un sommeil lourd et pesant. Il n’a aucune envie de bouger, se lever et commencer une nouvelle journée.

Son corps endolori lui crie et le supplie de rester couché. Un de ses yeux s’ouvre sur cette aube glaciale. Il étend un bras pour éteindre la mortelle alerte du matin. Un pied prend les devants pour affronter le froid et l’ennui. Puis à regret son corps entier, grosse masse frigorifiée et instable, sort péniblement du lit. Léo l’automate se dirige alors vers la cuisine où il attrape comme d’habitude les petites choses et victuailles du matin. Debout contre l’évier, il grelotte en croquant une biscotte sans confiture et avale un café au lait trop chaud qui lui brûle la langue. Retrouvant un semblant d’énergie, il se prépare sans réfléchir mais non sans consulter son portable une fois et une fois encore, au cas où, on ne sait jamais… Sa mère rentrera dans trente minutes tandis que lui sera sur le chemin du lycée. Ce soir, ils se verront peut-être si elle n’a pas d’autres obligations.

Devant l’ascenseur qui tarde à venir, les habitués de 7h30 se saluent d’un hochement de tête sans s’adresser la parole. Il y a là Madame Martin avec son fils, deux fois plus grand qu’elle, Madame Thérèse, vieille dame dont on se demande où elle va de si bon matin, Monsieur Fajor avec sa gamelle sous le bras et Léo qui voudrait déjà rebrousser chemin…

Dehors, un brouillard aussi épais qu’une barbe à papa funeste et sombre enveloppe Léo d’une accablante tristesse. La lumière du jour se fait attendre et la température frôle le zéro degré. Léo n’est pas assez couvert, il marche vite pour se réchauffer un peu. Dans sa poche, il triture son beau briquet, cela lui donne un peu de courage. Le casque vissé sur ses oreilles le coupe de son environnement : il est sourd à la ville qui s’éveille, au bruissement du vent dans les arbres, aux battements d’ailes ou cuicuis matinaux. Il n’entend pas la voiture qui s’approche à vive allure et dont les freins crissent sur le goudron glacé. L’impact semble inévitable. Une image fugace passe devant les yeux de Léo. Un pantalon gris. Le même que celui que son père avait l’habitude de porter…

***

Secoué, Léo se réveille dans son lit quelques secondes à peine avant que l’horrible alarme ne se déclenche. Contrairement aux autres jours, il se lève facilement et se prépare rapidement. Il a quand même une drôle de sensation…

Comme tous les matins, ses voisins restent muets. Il n’entendra leurs voix que ce soir quand tout le monde sera bien fatigué.

Son portable vibre dans sa poche. Encore un texto de cet idiot de Nico qui s’amuse à lui raconter des salades. Léo n’y prête pas trop attention et joue avec son cher briquet, ce petit bijou en argent, qui lui vient de son père. Bigflo & Oli lui soufflent dans les oreilles le rythme de ses pas et Léo ne voit ni n’entend la voiture à ses pieds. Devant ses yeux, une brumeuse silhouette qu’il identifie pour être celle de son père…

***

Une curieuse impression de déjà vu et vécu… Léo entend distinctement l’alarme de son téléphone et l’éteint immédiatement. Aussitôt debout, il se prépare plus vite qu’à son habitude.

La famille Martin, mère et fils, sont prêts les premiers. Leurs querelles incessantes rompent pour une fois le sempiternel et sacré silence matinal.

Le jour encore en sommeil est froid et glacial. La musique, un doux refuge. Et subitement, une voiture le frôle tandis que cette fois le visage de son père lui apparaît.

***

Léo se méfie, l’alarme n’a pas encore sonné. Il prête attention aux bruits alentours. Ses yeux s’ouvrent dans le clair-obscur de l’aurore. Il se lève et s’habille chaudement. Il enfouit son briquet dans sa poche gauche et son satané portable dans la droite. Il engloutit un petit déjeuner rapide et sort.

Aujourd’hui, seul Monsieur Fajor est au rendez-vous. Sont-ce les circonstances ? Mais ils échangent quelques bribes de paroles puis descendent en silence.

En bas, le jour naissant mais paresseux caresse la tignasse de Léo qui s’avance, le regard observateur, les oreilles cachées par son casque vibrant au son d’un rap connu par cœur. Mais c’est de derrière lui que surgit cette fois la voiture fantôme au volant de laquelle son père lui sourit…

***

Léo s’interroge. Pourquoi toujours ce même réveil ? Une préparation hâtive et solitaire. Un voisinage taciturne. L’obscurité d’une journée ordinaire. Et pourquoi cette folle voiture vient-elle le hanter ?

Dans la cuisine, il reçoit un texto de Nico : « Les raillons X serve a diffusé des film pornographiques ». Les rayons évoqués, au lieu de le distraire, lui font aussitôt penser à son père disparu trop tôt. La médecine et sa mère, infirmière, n’ont pas su ni pu le sauver. Voilà plus d’un an qu’il est parti les laissant plantés là comme deux pauvres épouvantails. Un frisson parcourt le dos de Léo qui se dépêche cette fois pour ne pas être en retard.

Il prend l’ascenseur seul et se retrouve en bas en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Son pas est rapide. Le vent lui cingle le visage. Dans sa précipitation, il a oublié son casque. Cette fois il entend la voiture arriver mais ne peut l’éviter. Il entend aussi très distinctement la voix de son père qui lui parle à l’oreille.

***

Léo se réveille en sursaut. Il ne sait plus s’il a vécu ou rêvé cet accident. Que lui arrive-t-il ? Serait-il en train de vivre et revivre toujours la même scène ? Est-ce un cauchemar incessant ? Cela va-t-il s’arrêter un jour ? Un malheur va-t-il le frapper lui aussi ? Et son père ? Que lui disait-il ?

Léo attrape son briquet et fait jaillir la flamme comme pour chercher à éclairer sa chambre et ses pensées. Tout ce qui l’entoure lui semble bien réel. Il pense avoir fait un mauvais rêve, une fois de plus…

Quand il ferme sa porte, il n’est tout de même pas très rassuré. Il avance à pas de loup prêtant l’oreille aux moindres bruits. Pour toute réponse, l’écho des ténèbres le plaque comme une ombre fidèle. Cette fois, il a précédé ses rares compagnons du matin.

Dans la rue, il avance prudemment, il écarquille ses yeux et ouvre grand ses oreilles. Il est sur la défensive et craint une menace… Son briquet tourne presque tout seul dans sa poche gauche.

Il voit et entend parfaitement la voiture qui ralentit à ses côtés. La portière s’ouvre, son cœur palpite, une sueur froide l’envahit. Il titube et perd connaissance.

***

Cette fois Léonard est en nage. Son sommeil profond s’est avéré fort agité. Mais il se sent rassuré de se voir dans sa chambre en bonne et parfaite santé. Il met un pied à terre alors que s’agite son portable pour lui rappeler l’heure du lever. Il sourit en passant devant la glace de la salle de bain. Quelque chose a changé mais il ne sait pas encore quoi exactement. Il prend le temps de déjeuner et s’assoit dans la cuisine tandis que sur YouTube il choisit ses morceaux favoris.

En fermant sa porte, il croise Madame Thérèse qui rentre chez elle après sa promenade hyper matinale mais elle passe à ses côtés sans le voir et en soliloquant. Les autres habitants sont invisibles ou déjà partis.

Les premières heures du jour sont fraîches et humides, noires et intenses. Le pas de Léonard, lui, est calme et assuré. Le jeune homme s’arrête pour allumer une cigarette. Ses oreilles s’ouvrent au faux silence du matin. Il entend désormais le ronron de la ville qui s’étire. Il se surprend à remarquer que son portable ne lui a pas renvoyé de messages. Il voit les feux de brouillard d’une voiture se diriger vers lui et s’approcher lentement. Planté sur le trottoir, il attend qu’elle arrive à sa hauteur. L’auto n’est plus qu’à quelques mètres de lui et il peut maintenant en distinguer très nettement son occupant. Il reconnaît parfaitement son père qui d’un mot l’invite à le suivre :

– Viens.

Qualifié Short Edition, Prix Imaginarius « les ombres », 2018

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