Micro nouvelles
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Regard oblique

Qualifié – Short Edition – Grand Prix Hiver 2019

Je ne pensais pas que Robert* le ferait. Il m’avait pourtant assuré qu’il aimait photographier, sur le vif, des inconnus et que son domaine de prédilection était la rue. Il s’amusait, me disait-il, avec son appareil, à capter et immortaliser telle ou telle attitude ou émotion fugace chez des passants trop occupés par leurs propres soucis pour s’apercevoir de sa présence. Il œuvrait comme un chef d’orchestre talentueux dont les musiciens silencieux se prêtaient au jeu sans le savoir. Véritable metteur en scène, il dirigeait, par le seul déclenchement de son appareil, des acteurs inconnus qui demain passeraient peut-être de l’ombre à la lumière.

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Le réveil de Léo

Qualifié Short Edition, Prix Imaginarius « les ombres », 2018

Bloooonggg… Cette atroce alarme extirpe Léo de sa torpeur lui qui dort en boule recouvert d’une couette bien chaude et toute chiffonnée. Il lui faut plusieurs minutes au son d’une sonnerie bigrement insistante pour émerger d’un sommeil lourd et pesant. Il n’a aucune envie de bouger, se lever et commencer une nouvelle journée.

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Une bouteille à la mer

Qualifié Short Edition, Faites sourire, Prix 2018

Un mot plus haut que l’autre. Un de ces mots qui dépasse la pensée. Une conversation qui tourne mal. L’inévitable dispute… Ma vue se trouble alors que des larmes coulent sur mes joues. Je sens le sel sur mes lèvres et ai le cœur gros. Je renifle bruyamment et m’essuie le visage d’un revers de main. Devant moi, l’étendue de l’océan immense. Le soleil au zénith semble pourtant vouloir me consoler et m’adresse un petit clin d’œil.

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Victor

Des années qu’il baigne dans le sang. Des années à affûter des lames blessantes sans verser de larmes. Des années à réceptionner, préparer et découper d’épaisses carcasses. Des années à désosser, ficeler, taillader et détailler des pièces de viande. Des années à renseigner, mettre en avant, faire saliver… Sa clientèle est fidèle et carnassière. Victor aime son métier et les contacts. La boucherie est sa passion. Il n’en changerait pour rien au monde.

Dessin : Paul Thery

John

Sa moustache, John l’arbore comme un trophée.

Elle est sa marque de fabrique, son emblème, son identité.

Au sortir de l’adolescence, quand le champ des possibles pour lui s’est élargi, quand le joug paternel s’est affaibli, quand de simple spectateur il est devenu acteur, John a décidé de se laisser pousser la moustache.

Et pas n’importe quelle moustache ! En bon superstitieux, il a opté pour une « fer à cheval », une de ces moustaches qui a le plus de caractère mais qui demande aussi le plus de soins.

Comme une maîtresse exigeante, sa « fer à cheval », son porte-bonheur aussi, demande une délicatesse de tous les instants. Chaque jour, John se rase de près en manœuvrant la lame du rasoir comme un subtil pinceau, un peu comme s’il esquissait sa moustache plus qu’il ne la laissait s’exprimer.

John s’applique et se contemple devant le miroir dont le reflet lui renvoie l’image bien réelle d’un homme fort au cœur tendre.

Dessin : Paul Thery

Second

Il fait encore nuit ce matin de février. Second n’a pas l’esprit tranquille. Il est aux aguets. Il craint quelque chose ou quelqu’un. Son frangin l’a bien sermonné hier soir. Ces choses-là ne se font pas. C’est sûr on va lui rendre la monnaie de sa pièce. On va lui tomber dessus. On va le castagner. On va appuyer là où ça fait mal.

Le cadet a plaqué ses cheveux rebelles, relevé son col et enfoui ses mains dans les poches. Dehors, il avance comme une ombre malade, chétive et allongée. Son pas est aussi léger que l’air qui lui transperce la peau. Ses yeux balayent son champ de vision tandis que ses oreilles captent le moindre bruissement.

Le gros bêta, aussi sec qu’un coup de trique, tient dans sa main nue son arme de défense. Il la tient bien serrée dans sa paume droite. Ses doigts enferment sa survie. Second y cache sa lame de rasoir.

Dessin : Paul Thery