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Victor

Des années qu’il baigne dans le sang. Des années à affûter des lames blessantes sans verser de larmes. Des années à réceptionner, préparer et découper d’épaisses carcasses. Des années à désosser, ficeler, taillader et détailler des pièces de viande. Des années à renseigner, mettre en avant, faire saliver… Sa clientèle est fidèle et carnassière. Victor aime son métier et les contacts. La boucherie est sa passion. Il n’en changerait pour rien au monde.

Dessin : Paul Thery

Second

Il fait encore nuit ce matin de février. Second n’a pas l’esprit tranquille. Il est aux aguets. Il craint quelque chose ou quelqu’un. Son frangin l’a bien sermonné hier soir. Ces choses-là ne se font pas. C’est sûr on va lui rendre la monnaie de sa pièce. On va lui tomber dessus. On va le castagner. On va appuyer là où ça fait mal.

Le cadet a plaqué ses cheveux rebelles, relevé son col et enfoui ses mains dans les poches. Dehors, il avance comme une ombre malade, chétive et allongée. Son pas est aussi léger que l’air qui lui transperce la peau. Ses yeux balayent son champ de vision tandis que ses oreilles captent le moindre bruissement.

Le gros bêta, aussi sec qu’un coup de trique, tient dans sa main nue son arme de défense. Il la tient bien serrée dans sa paume droite. Ses doigts enferment sa survie. Second y cache sa lame de rasoir.

Dessin : Paul Thery

André

André, la soixantaine fringante, arpente tous les matins les rues de son quartier bien avant que ses voisins ne bougent le petit doigt ou le gros orteil. Il est le premier à humer l’air auroral, à poser un regard sur les alentours, à écouter le ronronnement de sa ville endormie. Témoin discret et silencieux, il aime titiller la pénombre fuyante, s’isoler pour mieux se recueillir. Ses jambes décident seules où le conduire, ses mains perdues dans ses poches le laissant libre de penser. Il avance sans but, le nez en avant.

Dessin : Paul Thery

El Gringo

El Gringo avance à pas de loup sur le bitume de cette aire d’autoroute désertée. Il a laissé dans sa cabine la radio et la lumière allumées, le temps de satisfaire un petit besoin naturel. Les étoiles le surveillent et la lune étincelante lui cligne de l’œil. Complice éclairé de leurs va-et-vient, il prie le seigneur de le conduire à bon port. Il mâchonne un vieux chewing-gum en calculant mentalement le nombre de kilomètres parcourus depuis son départ. Avec un peu de chance, demain soir, si tout va bien, il pourra franchir la frontière…

Dessin : Paul Thery